Les Frères Musulmans en Egypte, entre libéralisme économique et contrôle social

Même si les Frères Musulmans ont échoué dans leur expérience du gouvernement, à la fois par leur impréparation, leur avidité, leur manque de moyens, face au mur d'argent des anciens possédants et de l'Arabie Saoudite, l’expérience de leur passage au pouvoir amène à se poser la question de la validité de leur projet économique et social. Engagés depuis des décennies dans l'action caritative et éducative ainsi que dans les syndicats professionnels, ils ne manquaient ni de cadres ni d'expérience et de connaissance des enjeux du pouvoir. Mais leur modèle économique, porté par une conception anti-étatique de la société, était tout aussi libéral que celui des tenants de la nouvelle économie. Leurs cadres formés dans le Golfe étaient adeptes d'un État réduit au contrôle social et moral des individus : c'étaient souvent des hommes d'affaires prospères, reposant sur une base issue du petit commerce et de la petite entreprise privée. Leur conception de la question sociale se limitait à la charité prescrite canoniquement : l'impôt redistributif de la zakat et la pratique des sadaqat, les aumônes rituelles. Rien qui puisse répondre aux nécessités d'une économie moderne, et aux attentes des ouvriers en grève, contre les licenciements, les fermetures ou les ventes d'usines à des capitaux étrangers... Or cette conception minimaliste était en contradiction avec les intérêts de la base populaire du mouvement, formée de jeunes chômeurs en quête de justice sociale et d'un État plus interventionniste. Le déclenchement inopiné du soulèvement de janvier 2011 ne leur a pas permis d'ouvrir ce débat interne, et l'expérience du pouvoir s'est rapidement fourvoyée dans le clientélisme et le partage des dépouilles des vaincus, ainsi que dans l’instauration d'un ordre moral comme ersatz à l'impuissance économique.